• Blanche Neige - épisode 5 - L'installation

    Méfiez-vous des auberges qui affichent « ici cuisine soignée »
    Car une cuisine soignée est une cuisine malade.

    Pierre Dac

    Où la princesse ne rechigne pas aux tâches ménagères "qui ne sont pas sans noblesse", comme le disait Paul Volfoni (Jean Lefèvre) dans les Tontons flingueurs. 

    Dès qu’elle franchit le perron, elle bloque sur ses fumerons devant le spectacle qui s’offre à ses calots ébaubis. Je n’te raconte pas le bocson qui régnait à l’intérieur. Ou plutôt si, parce que ça vaut son pesant de gratons.
    Dans la souillarde, sur la pierre d’évier, une tonne de vaisselle y est entassée. Sur les dossiers des chaises, des liquettes, falzars et fumantes traînent. Elle commençe par ouvrir les fenêtres pour aérer. Elle atchoume et ratatchoume soulevant la poussière d‘un bouquin cloqué sur une étagère près de la porte d’entrée à côté du bigophone. Par chance, cela lui permet de l’identifier, pas le bignou, le bouquin ! Il s’agit du recueil des Pétété, les pages jaunes de l’annuaire ‘’A ton service M’dame ! ‘’. Elle relève quelques numéros, et pour ne pas chopper une mycose en utilisant le bigo douteux de la casbah, elle sort son portable de son sac Vuitton et donne deux ou trois coups de turlu.
    A la société ‘’Crapoto Basta’’, (livraison en vingt quatre minutes chrono) elle commande deux barils d’OMO, du savon de Marseille, des pattes mouilles, des éponges et des gratounettes, puis elle prend rencard avec quelques spécialistes anti-crassouille. Quelques broquilles plus tard, la mère Denis se pointe avec ses machines ‘’Vedette mérite votre confiance que c’est ben vrai ça’’, qu’elle sort du coffre de sa Simca 1000 break. Monsieur Propre et son sourire niaiseux en roulant des biscotos, atterrit à cheval sur son balai, suivi de canard WC qui arbore fièrement son goupillon à chiottes.
    Blanche Neige - épisode 5 - L'installationTout ce petit monde se met au turbin et mouille la chemise jusqu’à temps que la baraque soye redevenue nickel chrome, que les frusques soient passées au lave-linge puis au sèche-linge et repassées. Notre chouquette sort son morlingue en skaï vert anis (un cadeau Yves Rocher). Elle se fend de vingt sacs à chacun des turbineux. Elle prépare quatre solides casse-dalles, jambon, beurre, cornichons, et fait péter le bouchon d’une boutanche de rouquin dégottée à la cave. Après s’être requinqués, les nettoyeurs s’apprêtèrent à mettre les adjas laissant Blanche Neige se coltiner les finitions.  
    - Salut ma Belle, lui dit la Mère Denis après qu’elles se soient fait péter la miaille ! Ce fut un plaisir de bosser pour Toi, mais quand faut y aller, faut partir. Nous sommes attendus pour une nouvelle mission impossible, c’est à dire le sauvetage habituel de la ménagère de cinquante piges trop accaparée par les sondages à la mords moi le petit doigt, et à lorgner à la téloche « les feux de l’amour » pour s’affranchir de ses obligations lessivielles.  

    Seule dans la carrée, Blanche neige fait le tour du propriétaire. Le rez-de-chaussée est constitué d’une grande pièce à vivre avec coin cuisine intégrée de chez Kikiéla et une pièce vide qui sert de débarras. Elle place les sept écuelles, les sept godets, les sept opinels et les sept piquantes dans le buffet à coté des galtouses et d’une grande marmite en fonte. Le linge plié est rangé dans une armoire taille basse de la piaule de l’étage oùsqu’il y a sept petits lits. A coté de la chambre-dortoir, se trouve un salon bibliothèque avec sept petits fauteuils, une téloche à écran plasma et un bureau avec plusieurs ordinateurs. Tout ceci remue les boyaux du cerveau de notre minette car à l’étage, tout est propret et bien rangé et en plus elle a remarqué la présence de matos qui ne correspondent pas à ceux de morveux en colo. En effet, sur les chevets, les trousses de toilettes contiennent des coupe-choux, des blaireaux et du savon à barbe.
    Elle sort de la cahute. A gauche des petits lavabos, elle ouvre un cabanon qui contient des outils de mineurs, pelles, pioches, lampes frontales et tout un barda hétéroclite. Sur un mur est accroché le poster d’un homme âgé. Il est souriant et a l’air très gentil ; il est grand et rondouillard.
    - C’est drôle ! pense-t-elle. Il me fait songer à quelqu’un avec sa barbe blanche, sa grande houppelande rouge bordée d’hermine, et son bonnet assorti.

    Elle rallège dans la carrée. Le coucou suisse gicle de son nichoir pour annoncer qu’il se fait dans les dix-huit plombes. Notre Princesse qu’était assise sur une cadière se lève et décide de s’occuper du frichti. A côté de la souillarde, une chambre froide bien achalandée, contient de quoi alimenter un régiment. C’est parfait se dit-elle en descendant l’escalier de bois qui mène à la cave où les légumes sont entreposés. Ayant choisi et remonté les ingrédients dont elle a besoin, elle allume et place sur la plus large plaque du poêle à bois, la grande marmite en fonte avec quatre litres d’eau où elle jette une petite poignée de gros sel. Elle prépare un kilo et demi de choux pommés en ôtant les feuilles défraichies et en les coupant en gros quartiers. Dans une casserole d’eau frémissante, elle les fait pocher une dizaine de minutes, les met à égoutter, les rince à l’eau froide et les réserve dans une grande passoire pour qu’ils égouttent de nouveau. Elle épluche les légumes qu’elle hache grossièrement au hachoir manuel à bascule. Il y a quatre carottes, deux navets boule-d’or au goût noisette, deux navets classiques, deux raves et un panais (sorte de radis noir au léger goût de noisette lui-aussi), trois petits cerfeuils tubéreux et une branche de céleri vert. Elle jette le tout, légumes et choux dans la grosse marmite d’eau bouillante et lorsque l’eau reprend son bouillonnement, elle diminue le feu pour que l’ensemble cuise en eau à peine frémissante. Elle cisèle très fin, un oignon rouge et deux échalotes qu’elle fait blondir à la poêle en les assaisonnant d’un mélange d’épices composé d’ail, de persil séché, thym, piment, graine de moutarde et cumin (deux bonnes cuillères à soupe). Elle disperse le tout dans la marmite en touillant un bon moment pour que tous les ingrédients se mélangent. Elle sort de la chambre froide deux pieds de cochons et deux grosses tranches de lard qu’elle coupe en cubes grossiers (le lard, pas les pieds) et les rajoute dans la marmite. Elle laisse mijoter en diminuant encore le feu, une bonne plombe, après avoir recouvert la marmite d’un couvercle comportant quelques fines ouvertures sur le pourtour, d’où une légère fumerolle s’échappe embaumant la cuisine d’une délicieuse odeur.

    Je conseille à tout un chacun, lors des longues soirées d’hiver quand il fera bien froid, de réaliser cette recette de soupe aux choux. Croyez-moi, vous sortirez de table non pas tout gonfle, mais bien benaise.      

    Pendant que la soupe mijote, elle se rend dans la salle de bains, se démaquille et fait une légère décrassouillette. Puis elle se loque avec sa grande chemise de nuit (mais d’où qu’elle la sort ? de son sac Vuitton bien sûr !) blanche en pilou brodée de fleurs roses et bordée (sympa les anagrammes ! Moi j’aime bien) de dentelles aux poignets et sur la bordure du décolleté, ainsi que des volants en organdi froufroutant sur le bas. C’était une chemise longue de forme empire. Ensemble convenable il se doit, car je rappelle aux éventuels claqueposses, c’est-à-dire aux contemplatifs aimant se rincer l’œil en regardant les nourrices qui allaitent les petits les jours de beau temps en place Bellecour, que nous sommes dans un conte de fées et que donc, elle ne s’est pas loquée avec une nuisette babydoll. Circulez y’a rien à voir !

    Elle a également sorti sa trousse de toilette, ainsi qu’une paire de pantoufles de vair que lui a offert une sienne cousine d’un royaume voisin, la princesse Cunégonde Cendrillon. Comme vous pouvez le constater, notre princesse ne sort jamais sans biscuit, mais c’est fol dingo tout ce qu’elle peut fourrer dans son sac. Je dis ça pour les mectons bien sûr car les nanas sont au parfum ; elles savent bien que leur besace doit contenir l’indispensable nécessaire permettant d’affronter toutes les situations.
    Après avoir grignoté quelques gratons, bu un bol de soupe et placé la marmite dans un coin tiède du fourneau pour que l’ensemble reste chaud, elle tire de son sac, le dernier numéro de Gala, l’hebdomadaire des têtes couillonnées.
    Parmi les articles, elle survole les mœurs équivoques de Peau d’âne et de son paternel qui sont montés en mayonnaise, et apprend que les aventures sentimentales du Chat botté qui change de minette comme de liquette inquiètent Casanova qui vient de perdre sa première place au palmarès des coureurs de jupons. Le Petit Poucet est devenu marquis de Carabas après avoir chouravé le château de l’ogre, (lequel fut envoyé aux galères pour avoir bouffé ses filles) et il vient de partir en croisière sur un nouveau paquebot de luxe ‘’Le Titanic’’. Il y a aussi un encart sur le roi Catodik qui gère dans l’empire, le monopole des écrans plats, LCD et plasma, et qui vient de décréter trois jours de deuil national suite à la disparition de son fils après avoir mis une annonce sur sa page « fessedebouc ».

    Blanche-neige ne lit pas longtemps. Elle se sent lessivée et grimpe l'escadrin, faire une petite pioncette dans la chambre, où elle rapproche deux petits lits pour ne pas avoir les arpions qui dépassent.
    - Je vais me reposer un chouia jusqu’à l’arrivée des proprios, se dit-elle !
    Elle vient juste de rejoindre les bras de Morphée lorsqu’ils arrivent.

    Fin de l’épisode… à suivre !

    Que va-t-il se passer ?
    Réponse A - Les nains qui détestent les squatteurs, vont virer la princesse et son sac Vuitton dehors. C'est reparti pour une nuit d'angoisse.
    Réponse B - Les nains, qui détestent la reine, vont fêter l'arrivée de Blanche-Neige en débouchant un magnum de roteuse "Don Pérignon 1921" (la cuvée de prestige). C'est parti pour une nuit d'ivresse.
    Réponse C - Émus par le récit de la princesse, les nains vont la garder sous leur protection. C'est parti pour une nuit d'émotion, sortez vos mouchoirs.
    Réponse D - Les sbires de la reine étaient en embuscade et dès l'arrivée des nains, comme pour la Saint-Valentin le 14 février 1929 à Chicago, les mitraillettes crachent. C'est parti pour une nuit de massacre.

    Glossaire :
    gratons : spécialité de la cuisine lyonnaise, 
    le graton est surnommé à Lyon « la cacahuète Lyonnaise ». Il est composé de résidus grillés de graisse et de viande de porc. Ceux de chez Bobosse aux Halles Paul Bocuse de Lyon sont un régal à s’en licher les cinq doigts et le pouce.
    Liquette, falzar, fumantes – attributs vestimentaires, la chemise le pantalon et les chaussettes.
    Bignou, bigophone, bigo, turlu, quatre des treize façons de désigner le téléphone. Rouler des biscottos, comme rouler des mécaniques, c’est frimer.
    Morlingue – il s’agit du porte-monnaie féminin, celui avec le petit fermoir métallique à deux boules qui s’entrecroisent ; l’expression être constipé(e) du morlingue définit l’avare, qui volontairement n’arrive pas à l’ouvrir. Le porte-monnaie masculin est désigné sous le terme crapautard (Dictionnaire argotique des trucs, des bidules et des machins).
    Claqueposse : dans les années cinquante, en place Bellecour à Lyon, il y avait un coin entouré d’une mini barrière décorative, réservé aux enfants avec des balançoires et des véhicules à pédales qui se louait à la demi-heure. De même les mamans pouvaient louer des chaises pliantes. Les jeunes mamans et nounous employées par la haute bourgeoisie, s’y arrêtaient pour allaiter les petits minots. Il y avait alors ceux que nous appelons des voyeurs, qui, à peine dissimulés par les tilleuls, s’embusquaient pour lorgner les seins des jeunes femmes et ces claqueposses (de posses, forte poitrine et surtout mamelles des animaux) étaient houspillés par les gens respectables qui les pourchassaient à coup de cannes ou de parapluies. Le terme est resté pour désigner celui qui sournoisement reluque les attributs féminin.
     


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