• À Paris, ce lundi matin 8 avril 1912, après de faibles gelées matinales, il faisait frais, le ciel était clair, le vent faible et les prévisions annonçaient pour les prochains jours , la fin des gelées matinales et un temps très calme dans l’Atlantique Nord. L’hiver avait été particulièrement doux et pluvieux avec de nouvelles crues de la Seine début janvier et des moyennes de 10 à 16 degrés en février-mars dont une pointe à 25° à la mi-mars.

     

    Paradoxalement lors de l’arrivée du printemps, ce fut la chute des températures. Malgré le soleil et un temps sec, le thermomètre peinait à atteindre les dix degrés au meilleur de la journée, ce qui faisait dire à Louise, en descendant les escaliers pour relever sa boite aux lettres : 

    Décidément, il n’y a plus de saisons !

    Par contre il y avait du courrier, et même une lettre envoyée en express qui lui était destinée. Elle remonta en courant à l’appartement en agitant sa lettre et criant joyeusement :

    - Maman, maman, sir Bryan m’a écrit !

     

    Bryan, était un diplomate anglais, grand ami de son père ; tous deux  avaient œuvrés pour que soit signé l’accord franco-britannique du 6 avril 1904 connu sous l’appellation de « l’entente cordiale ce qui lui avait valu d’être anobli par le roi Edouard VII. Veuf sans enfants, il considérait Louise comme sa petite fille et Louise qui n’avait plus ses grands-parents l’aimait beaucoup.

     

    Au fur et à mesure de la lecture de la missive, Louise écarquillait ses yeux et trépignait de joie. Toute émue et excitée de ce qu’elle venait d’apprendre, elle fit à sa mère un résumé du courrier.

    Voici donc ce qui excitait tant notre jeune demoiselle !

    Comme il devait se rendre à New-York, Sir Bryan lui proposait de se joindre à lui.

    Nous serons hébergés chez des amis, écrivait-il ! il s’agit d’une famille dont le mari est vice-consul au Consulat général de France ; ils ont une fille de ton âge qui sera ravie de te faire visiter la ville pendant que je serai à mes affaires.

     

    Il avait joint à sa lettre, l’autorisation parentale que son père dans la confidence avait fait valider à Londres où il séjournait depuis trois jours, en mission diplomatique.

    - Je t’attends mercredi 10 rajoutait-il ! Irène, ta maman, en profitera pour rendre visite à sa sœur Antoinette de Cherbourg qui habite à quelques minutes à pied du port d’embarquement. Le paquebot doit appareiller pour 20h. Prends un minimum d’affaires, les new-yorkais sont très branchés, mode parisienne ; nous nous occuperons de ta garde-robe sur place

     

    Contes étranges - La TraverséeL’après-midi, fut joyeusement consacré par la mère et sa fille à quelques emplettes avant de se rendre à la gare St-Lazare où sept trains express par jour plaçaient la gare maritime de Cherbourg, inaugurée début 2016, à 6h de Paris. Cette gare maritime abritait les bureaux des différentes compagnies maritimes ainsi qu’une salle des Pas Perdus où les voyageurs pouvaient acheter souvenirs et journaux.

     

    Il restait fort heureusement quelques places dans une rame qui partait à 12h30 et donc arrivait à 18h30, ce qui laissait une bonne heure et demie de marge. Toutes heureuses, elles télégraphièrent à Londres et il fut convenu que Louise et sa mère, rejoindraient Antoinette et Bryan à la gare maritime pour 18h30 après-demain.

     

    Mercredi, plus de gelées matinales, douceur et ciel ensoleillé étaient de la partie ; l’express à vapeur quitta le quai de la gare St-Lazare à 12h30 précise. Ayant pris possession de leurs places en première classe, elles se rendirent pour un frugal déjeuner au wagon restaurant. De retour dans leur compartiment, Louise, placée côté fenêtre dans le sens de la circulation, était impressionnée de voir défiler le paysage à si vive allure. Elle dit à sa mère :

    - Le serveur du restaurant m’a précisé que l’express roulait en moyenne à 47km/h  avec des pointes à 52km/h, c’est impressionnant ! Les automobiles avec leur vitesse limitée à 30km/h sur route (20km/h en ville) donnent l’impression de se traîner.

     

    Irène, songeuse, était fière de sa fille qui avait obtenu à 18 ans la deuxième partie de son baccalauréat ; elle faisait partie du petit cercle des 130 filles à avoir décroché ce diplôme toujours dominé par les garçons avec près de 7000 bacheliers.

     

    Louise était admirative de Julie-Victoire Daubié une vosgienne tenace qui avait décroché le premier baccalauréat féminin à Lyon le 17 août 1861 à l’âge de 37 ans en totalisant six boules rouges, trois boules blanches, une boule noire. Ce système de boules était le moyen de vote des professeurs examinateurs. En ce temps-là, ils ne calculaient pas de moyenne. Une boule rouge signifiait un avis favorable, une boule blanche, une abstention, une noire, un avis défavorable.

     

    Perdue dans ses pensées, elle fut brutalement ramenée à la réalité par un arrêt brusque du train. Il était à mi-parcours, un peu avant la gare de Bernay dans l’Eure, à la hauteur du passage à niveau de Boucherville, lorsqu’il dû stopper à cause d’une bétaillère qui s’était retrouvée coincée entre les rails.

    Il fallut plus d’une heure pour que les rails soient dégagés et que le convoi reparte. Irène et sa fille étaient angoissées à l’idée de ne pas arriver à temps à Cherbourg.  Et effectivement, 20h était passé quand le train s’immobilisa à la gare maritime.

     

    Louise était en larmes quand elle débarqua sur le quai soutenue par sa mère. Très rapidement elles furent rejointes par Antoinette et Bryan. Ce dernier la prit tendrement dans ses bras en lui déclarant doucement :

    - Sèche tes larmes, ce n’est qu’un contretemps, j’ai été informé de l’incident et après avoir télégraphié au paquebot, le capitaine compréhensif s’est décarcassé pour que nos places soient reclassées sur « l’Olympic ». Ce transatlantique est plus petit que celui que nous devions prendre, mais il a une grande habitude du trajet et il restait quelques cabines de libre. Ce sera moins luxueux mais nous atteindrons New-York avec un seul jour de retard. Il appareille demain matin à 10h. Tu vois tout s’arrange.

     

    Louise retrouva des couleurs et son sourire et tapa une bise bien claquante sur la joue de sir Bryan. Elle lui demanda :

    - Comment s’appelle le navire que nous avons manqué ?

    - Le Titanic, répondit-il.

     

    Étonnant non !


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